Ou peut-être seulement les miens, je ne sais pas.
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Je suis l’Employeur, ton Patron, qui t’ai fait sortir du chômage. Tu n’auras pas d’autre employeur que moi.
Vous vous rappelez peut-être ma réaction quand on m’a annoncé que c’était moi qui avais été embauchée à Campagnol Roussâtre après un processus de recrutement digne du GIGN (à peu près) ?
J’ai eu l’impression d’être l’Élue.
Je n’en ai pas dormi durant des jours tellement j’étais heureuse.
Il m’est même arriver de réveiller Ékiso la nuit pour lui dire : « Ékiso… ? J’ai été embauché chez Campagnol Roussâtre ! » #truestory
(Pour les curieux, voici ce qu’il me répondait : « bravo t’es la meilleure… zzz » C’est ça l’amour.)
Puis j’ai débuté.
Et c’était aussi bien que je l’imaginais ! J’adore les horaires, j’adore l’ambiance, j’adore le salaire, j’adore le bureau…
Mais il y a plus important : je crois dans l’institution, ses valeurs, ses missions… Je crois en son attention vis-à-vis des salariés dans l’objectif d’un service rendu de qualité. Je crois en mon travail, en son utilité pour les personnes que j’accompagne, en ce que je rends la situation qu’ils vivent un peu moins pire.
Évidemment, je ne suis pas naïve et je sais que cela pourra changer, qu’un jour je ne me retrouverai peut-être plus dans ce poste. Parce que l’institution aura changé, parce que j’aurai changé, voire même les deux. Et à ce moment-là, il y aura une décision à prendre.
Mais pour l’instant, je découvre la sensation de me sentir au bon endroit au bon moment, et c’est merveilleux.
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Tu ne feras aucun humour.
Une chose parmi d’autres à savoir à mon sujet : je suis naturelle et spontanée en toutes circonstances.
Je le disais dans un article précédent : je ne connais pas le stress. Une des conséquences est que je me comporte de la même manière avec Bérengère la secrétaire et avec Roger le P-DG. Comprendre : je suis respectueuse, polie, mais si j’ai envie de faire pipi je vais lui demander où sont les toilettes, m’voyez ?
Mais revenons-en à nos moutons.
Débuter un boulot signifie découvrir une culture d’entreprise, s’habituer à un rythme de travail, s’intégrer dans une équipe. Et quand une Wisel débarque dans une équipe qui ne la connaît pas, c’est folklorique.
J’explique.
Du fait de ma personnalité décrite ci-dessus, je me comporte avec tout le monde comme si je le/la connaissais depuis toujours. C’est aidant avec les personnes que j’accompagne car – ma spontanéité associée à ma posture professionnelle – la relation d’aide s’en trouve facilitée.
Sauf que. C’est moins aidant avec mes collègues car, la plupart du temps, ils ne savent pas si c’est du lard ou du cochon.
En d’autres termes : mon humour est incompris.
En d’autres termes : je suis incomprise.
Exemple de conversation que j’ai eu depuis le début de mon contrat :
Secrétaire : « Tu vas faire quoi ce week-end ? »
Quoi de mieux que de devoir expliquer une blague ?
— J’assiste à un mariage.
« Oh c’est bien, tu dois être contente ! »
— Bof. J’ai pas franchement envie d’y aller.
« Ah pourquoi ? »
— Parce que c’est un couple homosexuel qui se marie. (petit rire)
« … »
— … (sourire crispé)
« Ben moi je trouve que chacun fait ce qu’il veut… »
— Euh. Non mais euh. Moi aussi. Euh. C’était pour rire. En fait je suis juste crevée, c’est pour ça que j’ai pas la motivation d’y aller…
« Ah. » (part)
Autre exemple :
Collègues qui parlent entre eux : « T’as vu hier ils ont repassé le film Intouchables, j’ai trop rigolé ! »
Merci Omar Sy.
« Je l’ai pas pas regardé j’ai pas trop aimé ce film »
« Oh dommage » (me lancent un regard interrogatif)
— Ne me demandez pas, je regarde jamais ce genre de film, j’ai l’impression de faire des heures supp’ !
« … » (partent)
Un dernier exemple juste pour le plaisir :
Collègues qui parlent entre eux : « Tu vas mettre ton fils en école privée toi ? »
* À ce moment-là j’ai pensé : s’ils ont « mal tourné », ce n’est certainement pas parce que le mari de ta voisine la castagne à longueur de temps, c’est forcément à cause de l’école publique. (Mais je ne dis rien, et je n’en suis pas peu fière.)
« – Certainement pas, ça coûte trop cher pour la même chose que le public ! »
« – Je suis pas d’accord, moi j’y ai mis mes trois enfants et ils sont très bien alors que les enfants de la voisine ont tous mal tournés* et ils étaient dans le public… »
« – Ah ben non l’école publique à côté de chez moi est très bien moi j’y ai fait toute ma scolarité et gnagnagna… »
— Ce qui est bien avec les chiens, c’est qu’on ne se pose pas ce genre de questions. (sourire)
« … »
— … (sourire crispé)
« … »
— Huhum. (je pars)
J’en ai conclu que mes collègues n’étaient pas prêts. Mon humour exceptionnel devra attendre un peu.
Quand j’y arrive, je me mords la langue pour ne pas faire de blague, et ça passe. Et quand ils me connaîtront, quand ils sauront que je ne suis ni raciste, ni antisémite, ni intolérante (…), je pourrai être moi-même.
Là, c’est trop tôt pour eux.
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Tu n’invoqueras pas le nom de la hiérarchie en vain.
Une autre chose à savoir sur moi : je respecte les règles.
Je suis incapable de commettre le moindre crime tel que : stationner sur une place handicapée, goûter deux morceaux de fromage en dégustation au supermarché, traverser quand le feu piéton est rouge.
Parce que ces règles ont un sens et permettent la vie en communauté et en sécurité.
Alors quand la chef de service interdit quelque chose, je suis.
Quand l’institution oblige à quelque chose, je suis.
Parce que ces règles aussi ont un sens.
Sauf que. J’ai rapidement compris que ma docilité vis-à-vis de la hiérarchie n’allait pas être un atout dans mon intégration.
Secrétaire : « Bonjour Wisel ! Tu arrives tôt aujourd’hui !? »
C’est bête, pour une fois que je ne faisais pas une blague…
— Et oui, bien obligée, on a réunion ce matin.
« Elle n’est qu’à 8h30 ça va tu as le temps ! »
— Oui mais Madame Chef nous a dit hier qu’il fallait être là 30 minutes avant.
« … » (rigole)
J’adore l’humour.
Collègue : « Si t’es bloquée sur cette situation, pourquoi tu fais pas direct un mail à Madame Chef ? »
Quoi de plus agréable que cette sensation de redevenir enfant et de s’entendre dire « mais la maîtresse elle a dit que… »
— Parce que dans la procédure il y a marqué qu’il faut d’abord passer par le service machin pour voir s’ils peuvent débloquer la situation avant de solliciter la chef de service.
« … » (lève les yeux au ciel)
Sauf que. Moi, je ne sais pas faire autrement. Parce que sans règle, pas de cadre. Et sans cadre, c’est l’anarchie dans ma tête. (Le résultat d’une éducation douce et émancipatrice.)
Comprenant que cette attitude n’allait cependant pas m’aider, j’ai décidé de modifier mon discours :
— Pourquoi j’arrive 30 minutes avant la réunion ? J’aime pas arriver à la dernière minute.
— Pourquoi je n’envoie un mail à Madame Chef ? J’aime bien tenter de me débrouiller un peu avant.
Et jusqu’ici, tout va bien.
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