Je pourrais raconter ce que je me suis offert avec mon premier salaire (deux pulls et un manteau).
Je pourrais m’extasier que mes revenus aient triplé (tout en restant reconnaissante à Pôle Emploi de m’avoir rémunéré jusqu’à maintenant).
Je pourrais insister sur le fait que, désormais, Walo va pouvoir se la péter avec son nouveau collier nonos (lui aussi a eu droit à un cadeau).
Sauf que. Tout ceci n’existerait pas sans la raison pour laquelle je suis devenue subitement riche (comprendre : moins pauvre).
Mon boulot.
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Un mois mémorable (ou pas)
Étant donné que Campagnol Roussâtre était dans mon top trois des endroits où je voulais travailler « quand je serais grande » (comprendre : quand je serais diplômée), je connaissais déjà plein de choses sur mon futur boulot :
◗ L’institution : un gros truc avec plein de monde qui travaillent dedans.
◗ Le public : des gens malades. Mais genre vachement malades. Pas la gripette.
◗ Les missions : faire que ces gens malades soient moins pauvres, moins isolés, moins déprimés.
C’est un bon début, mais il me restait tout de même à découvrir l’équipe, le lieu de travail, l’organisation des journées, le « rendement » demandé…
Pour autant, je n’étais pas stressée à l’idée de commencer. J’avais même carrément hâte. Les quelques nuits qui ont précédé ma prise de poste, je n’ai pas dormi tellement j’étais impatiente. Mon cartable était prêt depuis une semaine. La veille, j’ai dû mettre une heure à choisir ma tenue pour avoir l’air « professionnelle-mais-pas-trop-guindé-non-plus ».
En arrêtant mon choix sur un tailleur et un sac à dos Kipling, je crois avoir réussi mon pari. (J’aimerais pouvoir dire que c’est inventé… Mais le bon goût et moi, on n’a jamais été copains.)
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Première semaine
Je savais déjà comment le premier jour allait s’organiser puisque j’avais été prévenue par mail : rendez-vous le matin au siège de Campagnol Roussâtre pour la remise de tickets restaurants (et la signature du contrat de travail accessoirement), puis présentation à l’équipe l’après-midi.
Arrivée aux aurores (9h) devant un immense bâtiment gris et effrayant.
Je suis reçue par l’assistante RH, très accueillante et souriante. Elle me donne énormément d’informations sur le salaire, les différents types de congés, la période d’essai…
Je me sens comblée et chanceuse de pouvoir poser toutes les questions qui me passent par la tête : « et si je suis malade, qui je préviens ? Puis-je poser un jour de congés à n’importe quel moment ? Y a-t-il une flexibilité des horaires ? L’exercice civil va de quand à quand, vous avez dit ? Et c’est quoi un exercice civil d’abord ? »
(Au cas où c’était pas évident que j’étais débutante dans le secteur du social, je pense qu’elle l’a deviné.)
Ça a duré la matinée, puis j’ai rejoint mon vrai lieu de travail où m’attend Madame Chef, celle qui m’avait fait passer l’entretien d’embauche.
Elle me montre mon bureau, me présente à l’équipe d’assistantes sociales, et m’explique le déroulement de ma semaine. J’ai compris que tout était déjà prévu pour que je ne me retrouve pas une journée toute seule à ne pas savoir quoi faire : mardi avec Machine, mercredi avec Bidule, et ainsi de suite. Mon planning était organisé de sorte que, chaque demi-journée, un membre de l’équipe allait me présenter une de nos missions et les outils de travail qui allaient avec.
J’ai ainsi pu découvrir le poste et l’équipe en même temps. Chaque matin je savais quoi faire et vers qui me tourner, c’était parfait pour moi qui ai tendance, au départ, à partir dans tous les sens si je ne suis pas cadrée.
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Deuxième semaine
Lundi matin, je me présente toute fringante dans le bureau de Madame Chef pour connaître mon planning de la semaine.
« Ah Wisel, bonjour, ça va ? »
»» OUI ! (enthousiasme et excitation ne m’ont jamais quitté depuis ma prise de poste.)
« Très bien. Cette semaine, tu vas commencer le tuilage avec Jen, ta Marraine. »
»» Parfait !!
« Je te laisse voir avec elle pour l’organisation de tes journées et on fait un point vendredi, ok ? »
»» Ça marche pas de soucis !!!
Et je m’en suis allée gaiement dans mon bureau.
Où je me suis assise.
En me demandant ce que pouvait bien vouloir dire tuilage (est-ce que ça a un rapport avec la toiture ?), qui était Jen (aurais-je déjà oublié un des membre de l’équipe ?), et depuis quand c’était ma marraine (je suis même pas baptisée en plus).
Histoire de me donner une contenance, j’allume l’ordinateur et ouvre ma boîte mail, en essayant de trouver comment résoudre cette situation (« au fait Madame Chef, il est où le bureau de Jen déjà… ? »)
Heureusement, je tombe immédiatement sur un mail :
Bonjour Wisel, appelle-moi quand tu arrives. Cordialement, Jen. 06xxxx
Soupir de soulagement.
Je décroche aussitôt mon téléphone.
Jen, assistante sociale d’une autre équipe de Campagnol Roussâtre, m’apprend alors des tas de nouvelles choses.
En tant que marraine, elle va me suivre durant deux mois pour « aider à ma bonne intégration dans l’institution », « m’accompagner dans mes nouvelles fonctions » , et « répondre à mes questions. »
Et accessoirement « valider ma montée en compétences » entre mon arrivée et la fin de ma période d’essai.
En toute transparence, elle ajoute qu’elle est elle-même suivie par Madame Chef, pour « l’aider dans son positionnement professionnel en tant que marraine », « l’accompagner dans le suivi de mes objectifs », et « répondre à ses questions. »
Et accessoirement « valider ma montée en compétences » entre mon arrivée et la fin de ma période d’essai.
Je suis donc évaluée par Jen, qui est évaluée par Madame Chef, qui m’évalue aussi. #évaluationception
Mal à l’aise, moi ? Jamais.
Au cours de cette semaine, j’ai donc suivi Jen comme son ombre, observant ses entretiens, prenant des notes, la questionnant sur les politiques sociales, prenant des notes, la regardant manger un sandwich, prenant des notes.
La différence ente la Wisel stagiaire ASS et la Wisel ASS ? Aucune, si ce n’est le salaire.
Arrivé à vendredi, on a fait le point avec Jen et Madame Chef. Elles m’ont demandé si je me sentais de démarrer en autonomie la semaine suivant (OUI !), puis on a décidé des objectifs que je voulais me fixer pour répondre aux exigences du poste (trouver une organisation optimale, ne pas laisser passer plus de deux mois entre deux entretiens, contacter trois nouveaux suivis potentiels par jour…)
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Troisième semaine
J’arrive le lundi à 8h plus motivée que jamais, hurlant un « BONJOUR ! » sincère mais bien trop violent dans les oreilles de mes collègues (il faudra que je corrige ça).
À 8h05, je suis assise devant mon ordinateur, une tasse de café brûlant dans une main et la souris dans l’autre.
À 8h10, ma langue et mon œsophage sont brûlés par le café, mais ma souris n’a pas bougé.
À 8h15, je suis perdue. (MON DIEU JE VEUX MA MAMAN)
J’ai beau connaître les missions, les politiques, les outils de travail… Sans public à accompagner, je ne sers à rien.
Alors que je me retiens de paniquer, Madame Chef entre dans mon bureau soudainement et me remet une liste de 150 noms : « voilà tes suivis, ça va aller ? Ça te fait pas peur ? S’il y a quoi que ce soit, tu m’appelles ou tu appelles Jen, OK ? »
Les larmes aux yeux (de bonheur), je saisis la liste et commence à appeler des gens pour me présenter, expliquer ma prise de fonction, fixer des entretiens physiques ou téléphoniques, répondre à des questions, envoyer des mail. Entre deux conversations, je vais faire pipi. Puis je recommence. Et sans que je comprenne comment ni pourquoi, la journée est finie.
Un clignement d’œil plus tard, nous sommes déjà le lendemain.
Un deuxième clignement d’œil plus tard, la semaine était terminée.
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Quatrième semaine
Le dernier lundi du mois, j’ai mon premier « point tripartite spécial débutant » (ou PTSD). Là, on m’explique que je ne sollicite pas assez Jen, que je parle trop longtemps au téléphone, et que je ne vois pas suffisamment de personnes en face à face.
Ce que j’ai dit : « oui d’accord très bien pas de problème je comprends merci je prends bien en compte vos remarques oui parfait d’accord. »
Ce que j’ai pensé : OH MON DIEU je suis NULLE ils vont me virer ! Je ne trouverai plus jamais de travail ! Je vais finir sous un pont avec Walo qui me mangera les orteils pour ne pas mourir de faim !
Ce que j’ai compris : même si je n’en éprouve pas forcément le besoin, poser une question ou partager un doute avec un membre de l’équipe peut m’éviter une erreur, me faire gagner du temps, et aider à mon intégration. D’autre part, un appel téléphonique un poil longuet peut révéler la nécessité de voir la personne physiquement.
Ce sont les conclusions du PTSD : je m’y tiendrai donc. Parce que je veux le garder, ce job.
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Conclusion
Les jours passent et se ressemblent. Les journées s’écoulent à la vitesse de la lumière.
J’ai des objectifs clairs à atteindre pour progresser (et accessoirement valider ma période d’essai). Mes collègues sont accueillants et disponibles pour m’aider au quotidien.
Je suis heureuse d’aller travailler tous les matins, cela me rappelle chaque jour que j’ai terminé ma formation, que j’ai validé mon diplôme, que j’ai réalisé un projet ambitieux qui me tenait très à cœur.
Honnêtement, je ne vois pas comment cette prise de poste pourrait mieux se passer !
Enfin presque : le PTSD m’a fait un rappel à l’ordre, gentillet certes mais survivrai-je à toutes ces recommandations ?
Je vous raconte ça bientôt.