Un des inconvénients, quand on devient assistante de service social (et c’est sans doute le cas dans plein d’autres métiers auxquels je ne pense pas), c’est qu’on apprend à gérer les problèmes. Les siens, et ceux des autres.
À dire vrai, cela devient un inconvénient quand on a de l’empathie pour tous ceux que l’on rencontre (comme moi), et quand on aime se sentir utile (comme moi).
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Parenthèse vers le passé
J’ai toujours eu « soif de justice », si tant est que ça veuille dire quelque chose… J’aime les films où le gentil gagne, où les méchants sont punis, où les victimes se vengent. Quand la vérité éclate au grand jour (bonjour les téléfilms de l’après-midi sur M6), je ressens un immense soulagement accompagné d’une plénitude absolue.
Associé à cela, j’ai la fâcheuse habitude, depuis que je sais me servir de mes mains, à aimer aider quand je le peux (et que cela rentre dans mes compétences : oubliez-moi pour votre déménagement). Une mamie galère pour porter des sacs alors que nous marchons dans la même direction ? Je lui propose d’en prendre un ou deux. Un monsieur paraît perdu sur le quai et mon métro n’est que dans deux minutes ? Je lui demande si je peux le renseigner. Voilà. Ça, c’est moi. Et sincèrement, j’ai mis des années à me rendre compte que ce n’était pas une manière de faire universelle.
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Deux anecdotes en particulier m’ont fait réaliser que mon attitude pouvait être surprenante :
Je devais avoir 12-13 ans. Nous étions au supermarché avec ma mère, rayon yaourts (aucune importance pour la suite). Un gros bruit me fait me retourner : je ne sais pas comment c’est possible, mais une dame avait réussi à renverser son caddie archi-blindé. Elle venait de le remettre sur ses roues, mais l’entièreté de ses courses se trouvait encore au sol. Je revois encore les gens enjamber les produits. Sans réfléchir, je commence à l’aider à tout ramasser rapidement. Là, ma mère et elle se regardent, manifestement gênées. Je ne comprends pas. Ma mère lui dit alors, en levant les yeux au ciel : « halala ma fille, toujours prête à aider tout le monde ! » comme s’il était absolument nécessaire de justifier mon acte (allez comprendre). Le plus surprenant pour moi, ce fût son ton désapprobateur. Qu’avais-je fait de mal ? (Je n’ai pas la réponse.)
Le temps a passé…
Je suis plus âgée, la vingtaine. Ma copine et moi nous baladons dans la rue, quand je remarque un embouteillage anormal à cette heure. Je constate que cela vient d’un rond point à quatre voies situé plus loin, au milieu duquel se trouve une très grande fontaine. Je jette un coup d’œil et y voit deux jeunes filles en train de danser dans l’eau. Je propose à ma copine d’aller voir ça de plus près, et tandis que nous nous avançons, les deux danseuses commencent à se déshabiller. Le temps qu’on arrive au niveau des voitures, elles étaient en soutien-gorge mais avaient encore leurs pantalons. Outre le fait qu’il ne faisait pas assez chaud pour avoir envie de se baigner dans cette fontaine (et au milieu de la circulation), leur façon de bouger m’a clairement alerté sur un grammage manifestement élevé d’éthanol dans leur sang. Mais c’est surtout quand je me suis rendue compte qu’elles étaient mineures que j’ai commencé à me sentir mal. J’avais devant moi deux jeunes lycéennes, visiblement très alcoolisées, à moitié à poil au milieu de voitures et de piétons en train de les observer, sans rien faire.
Sans réfléchir (encore une fois), la circulation étant presque à l’arrêt, j’ai traversé le rond point pour aller à leur rencontre (encore une fois, j’ai eu droit à un regard désapprobateur, celui de ma copine, qui aurait préféré que l’on continue tranquillement notre balade).Quand j’arrive au niveau de la fontaine, je me retrouve devant deux filles encore plus jeunes que je pensais (fin de collège peut-être) prêtes à déboutonner leurs pantalons. Je ne sais pas qui d’elles ou de moi était le plus perturbé par cette rencontre ! La tête pleine de questions (qui, quoi, comment, pourquoi…), et tandis qu’elles me fixent d’un air interrogatif, je me rends compte que je me suis dirigée vers ces filles sans avoir pensé à ce que j’allais leur dire. À quoi est-ce que je m’attendais comme réaction ? « Ah bonjour Madame, nous vous remercions d’être venue jusqu’à nous ! Justement, nous sommes perdues, pouvez-vous nous dire où se trouve la piscine la plus proche s’il vous plaît ? ») Mais non, on est là face à face, avec des gens qui nous regarde tout autour ; oui, parce que la scène a attiré l’attention des badauds qui s’attendent sans doute, eux aussi, à ce que mon acte téméraire entraîne un retour à la normale dans la matrice sociale. Mais non, nous sommes là toutes les trois à nous regarder, et je me sens un peu mal à l’aise ; un, de les avoir dérangé, deux, d’être la seule correctement vêtue. Cela dit, cette réflexion débloque la situation :
»» Salut, euh, vous n’avez pas trop froid ?
C’est bon, la conversation est lancée. Elles m’expliquent qu’elles en ont marre de cette société de bien-pensants, et qu’elles ont envie de faire ce qu’elles veulent. Et que si elle veulent se baigner à poil au milieu de cette fontaine, et bien elles ne voient pas pourquoi elles ne le feraient pas, parce qu’après tout elles ne font de mal à personne, non ? Et d’abord, là, si les gens les regardent c’est qu’ils sont jaloux et eux aussi ils devraient faire ce qu’ils veulent mais ils ont trop peur de ce que les autres vont dire parce que ce sont tous des moutons !
Fort bien. Cela étant, je dois avouer que même si elles me donnent tout un tas de raisons tout à fait entendables, je reste fixée sur leurs pupilles anormalement dilatées, et sur leurs seins anormalement à l’air. Alors je leur réponds simplement de faire attention à elles, qu’on ne vienne pas les embêter ou les enlever pour les violer, et je leur propose de les ramener chez elles, mais elles déclinent poliment. Je rentre bredouille sur mon trottoir, mais suis attendue par un groupe de ces fameux moutons qui réclame des explications. Je me retrouve un peu bête, parce que mon acte n’a servi à rien, au final. Et j’avoue que je me souviens pas de ce que j’ai répondu, mais ça devait être forcément très intelligent et percutant.
[Entre nous, et si vous n’avez pas encore lu le livre qui a changé ma vie, vous pouvez vous renseigner sur l’effet spectateur et notre faculté à rester sans rien faire dès que nous sommes en groupe : https://www.youtube.com/watch?v=iTJFAizF7jE]
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Le point commun de ces deux anecdotes : mon sentiment de malaise face à ce public qui voit mais ne fait rien. Ce public qui me fixe comme une extraterrestre tandis que j’agis. Ce public qui me demande de me justifier. (D’ailleurs, pendant un temps, j’ai préféré me fondre dans la masse en enfouissant au fond de moi mes bons sentiments pour ne plus me faire remarquer, mais ça n’a pas duré bien longtemps.)
Je n’y peux rien… Quand je vois quelque chose d’injuste, quelqu’un en danger ou que je pense pouvoir aider, c’est comme un réflexe : une sensation viscérale me pousse à agir.
Alors quand j’étais adolescente, c’était gérable puisque mes capacités étaient assez limitées.
Sauf que. Maintenant, j’ai des super-pouvoirs.
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ASS : assistante sociale surnaturelle
Quand j’ai commencé ma formation, j’étais tellement contente de découvrir toutes les solutions qu’il existait, tous les droits sociaux qui n’étaient pas réclamés, que j’avais envie de le crier sur tous les toits :
»» Toi, le SDF, rends-toi à cette adresse pour être hébergé ! Toi, la femme battue, va voir cette association qui te protégera ! Toi, le chômeur, appelle ce numéro pour avoir accès à une formation diplômante dans le secteur que tu veux ! Toi, l’handicapé, envoie ce formulaire pour que tes deux jambes repoussent ! Non j’déconne… mais t’auras des allocs !
(J’aime tout le monde, mais j’aime aussi beaucoup l’humour)
Fort heureusement, j’ai réussi à me retenir. Parce que le problème, à trop vouloir en faire, c’est que l’on s’épuise avant d’avoir commencé. Je m’explique : à l’époque, je vivais seule, je n’avais pas de vrais amis, pas d’argent, aucune estime de moi, et je traînais des tas de casseroles plus grosses les unes que les autres #mercipapamercimaman
Autant dire qu’avant d’essayer de sauver le monde, il valait mieux que je prenne un peu confiance en moi. Pour rester debout en cas d’échec, pour assumer les déceptions, pour « tendre l’autre joue » et faire un bruit de prout en même temps (humour toujours).
[Spoiler : cette assurance, je ne l’ai eue qu’à la fin de ma formation.]
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J’explique
Dans la vie, on peut être amené à croiser des gens qui aiment raconter leur(s) malheur(s). On peut aussi croiser des gens qui n’en parlent habituellement jamais mais qui, ce jour-là, en parleront. Et pour certaines personnes (comme moi), la solution pour les sortir de l’embarras peut paraître tellement facile, qu’on se fait un devoir personnel de la leur expliquer.
Et les rares fois où il m’est arrivé de le faire, je me suis pris un mur :
»» Tu sais par rapport à ce que tu dis au sujet de ton papa vieillissant, tu peux faire ure demande au conseil départemental pour avoir une aide à domicile…
– Non mais c’est bon j’ai tout essayé et de toutes manières ça sert à rien et j’ai pas envie de faire des papiers pour quedal et…
Et peu importe ce que je peux dire ou expliquer, ça ne mène à rien. Parce que les gens ne sont pas apte à réfléchir à la question (à ce moment-là), parce qu’ils n’ont pas envie de reconsidérer les choses (à ce moment-là), parce qu’ils ont juste besoin de se plaindre et d’évacuer leur colère / tristesse / frustration / désespoir (à ce moment-là). Et aussi parfois parce qu’ils ont réellement tout essayé.
Et qui suis-je, moi, pour les forcer à penser à agir là maintenant tout de suite alors qu’ils ont rien demandé ?
En bref, on n’aide pas les gens qui veulent pas être aidés. Du coup, aujourd’hui, je tente de jauger au mieux mon interlocuteur, je mesure mes propos, je compte jusqu’à 100 avant de parler, et c’est bien plus simple.
Sauf quand on me demande des conseils alors que je sais que ce que je vais répondre ne va pas faire plaisir : « J’ai ma locataire qui peut plus payer son loyer, comment je dois faire pour l’expulser ? » #truestory
Sauf quand on me dis des choses que je ne veux pas savoir : « Ah tu sais ce soir au repas il y aura Machin et Machine, ainsi que Truc et Bidule. Et en fait Machine elle trompe Machin avec Truc, et tout le monde le sait sauf lui. Du coup tu ne dois rien dire non plus. » #truestory
Sauf quand on me raconte des histoires horribles, que je peux faire quelque chose, et que je me me torture l’esprit à savoir si je dois ou non agir. #truestory
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Une histoire dérangeante
Pour bien comprendre la suite, voici une petite mise en contexte.
Si pour ma part ma famille se résume à ma sœur Sâ (dont j’ai déjà parlé ici), et ma mère (dont j’ai déjà parlé là), j’ai eu la malchance de tomber amoureuse du mec à la famille la plus grande au monde (ou presque).
Ékiso a quatre frères, et ses deux parents sont en vie. En plus, ses frères sont tous en couple. En plus, ses parents sont tous les deux remariés, et leurs conjoints ont eux aussi des enfants, qui sont eux aussi en couple. Et comme si ça ne suffisait pas, il a aussi des oncles et des tantes et des cousins et des cousines et tout le monde est en couple et a des enfants qui sont aussi en couple et parfois même qu’ils ont eux aussi des enfants. Et en plus, tout le monde s’entend bien.
[Vous êtes perdus ? C’est normal, moi aussi.]
Bref. Tout ça pour dire que les repas de famille côté Ékiso, pour moi, c’est le grand souk. Une foule d’inconnus réunis autour d’une table immense recouverte de quantité de bouffe astronomique. Toutes ces personnes heureuses qui hurlent pour se raconter joyeusement leurs souvenirs et qui rigolent à gorge déployée. Toutes ces effusions de bons sentiments et d’affection. C’est un cracha au visage de la petite fille issue d’une famille dysfonctionnelle que je suis.
Mais je m’égare.
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Le week-end dernier, nous étions très heureux, Ékiso et moi, de faire 14 heures de route pour nous rendre à l’anniversaire de l’un des membres de sa famille (ne me demandez pas qui, je n’arrive même pas à me souvenir du prénom de tout le monde). Dès notre arrivée, j’applique une de mes techniques de survie pour ces repas : me mettre en bout de table. (La première fois, je m’étais retrouvée assise au milieu : j’ai eu l’impression de passer une journée en pleine guerre franco-allemande.) Mais comme pour me rappeler qu’on ne peut pas gagner à tous les coups, la mère de Ékiso s’est assise à côté de moi. Je pouvais déjà imaginer une soirée à l’écouter raconter les souvenirs témoignant de la mère anormalement aimante qu’elle a été.
Et tandis qu’elle exprimerait l’amour inconditionnel qu’elle éprouve pour ses enfants, je ne pourrais m’empêcher de penser à l’éducation et aux démonstration d’affection que moi-même j’avais reçues. Ah oui, Madame Ékiso mère, quand vous racontez la fois où vous avez fait un gâteau à trois étages pour les 8 ans de votre fils numéro 2, ça me rappelle quand ma mère m’a sommé de partir de la maison la veille de mon anniversaire parce qu’elle voulait « vivre sa vie de femme ». Oh, oui, c’est très très drôle que vous me parliez de ce voyage en famille, parce que moi aussi une fois j’ai fait un voyage et quand je suis revenue, mon père m’a dit qu’il aurait préféré que je ne rentre pas ! Et là, cette fois où vous avez surpris vos fils 1 et 3 en train de jouer avec des oreillers dans leurs chambres et qu’ils ont fait semblant de dormir quand vous êtes entrée sans frapper pour ne pas être disputés, ça me fait penser au jour où je me suis uriné dessus cachée sous le lit parce que mes parents s’étaient rendus compte que j’avais renversé de la peinture à l’eau dans le jardin et qu’ils étaient en train de me pourchasser, ha ha ha !
Mais je m’égare encore.
Ékiso mère et moi, donc, « discutions » paisiblement (comprendre : elle parlait, j’écoutais) quand elle en vient à me parler d’une amie à elle que nous appellerons Vipère Ignoblement Histrionique (VIH) pour la bonne compréhension de l’histoire. VIH a eu une vie bien pourrie (bonjour Madame Échec) : elle est son mari ont eu deux enfants, un garçon et une fille, qui dès leur naissance ont signé la fin du couple. VIH adorait sa fille et détestait son fils, dont elle était jalouse puisque son père passait beaucoup de temps avec lui. Sauf que sa fille est morte (pas de chance VIH, t’as misé sur le mauvais cheval !) Son fils, sans doute touché par les mots doux de sa mère (« j’aurais préféré que tu meures à la place de ta sœur »), s’est barré au Portugal, et en conséquence son mari ne lui adresse plus la parole puisqu’il la rend responsable de l’éloignement de son gamin. Bref, une vie de rêve, qui a rendu VIH affreusement instable, aigrie, dépressive, et suicidaire.
Bon alors, en soit, on pourrait se dire qu’on s’en fiche royalement. Parce que des gens à la vie pas cool, il y en a plein.
Sauf que. Vipère Ignoblement Histrionique est assistante maternelle. Et Ékiso mère me raconte, au cours du repas dont je parlais plus haut, qu’elle a assisté à de la maltraitance de la part de VIH sur les enfants qu’elle garde (en résumé : de la négligence grave, de la dénutrition ou au contraire du « gavage », des bébés secoués…) Je regarde alors Ékiso, l’air hagard, pour savoir s’il n’y a que moi ça choque puisque sa mère raconte cette anecdote tout à fait normalement. Heureusement, Ékiso lui fait aussitôt remarquer la gravité des choses et lui demande ce qu’elle compte faire. Ce à quoi elle répond : « non mais tu comprends, c’est compliqué, moi je me sens mal pour elle, elle n’a pas eu une vie facile quand même, et en plus si elle perdais son métier à cause de moi, elle n’aurait plus rien la pauvre » (en termes techniques, on appelle ça « répondre de la merde »).
Le reste du repas s’est déroulé normalement. Ou pas. En fait, il aurait pu y avoir une explosion nucléaire que je serais bien incapable de le dire puisque j’ai passé les heures suivantes enfermée dans ma tête, à me torturer l’esprit au sujet de la maltraitance infantile.
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Le retour de Brittany l’insomnie
Sur le chemin du retour, Ékiso et moi avons parlé longuement de cette histoire. Idem le jour suivant. Et encore le jour suivant. Mais le jour suivant suivant suivant, je n’ai plus rien dit. Pas parce que je n’avais rien à dire, mais parce que j’avais besoin de réfléchir à ce que je voulais dire, et conséquemment, faire.
Pour résumer grossièrement, voilà ce qui se passait dans ma tête : oh mon dieu, il y a quelque part des enfants qui sont victimes de maltraitance, je dois faire quelque chose ! Oui d’accord, mais quoi ? Mais bordel, je suis assistante sociale je sais ce qu’il faut faire ! Mais est-ce vraiment ma place ? Je n’ai comme preuve que le discours rapporté d’une dame qui aurait vu quelque chose, c’est pas vraiment solide… Et est-ce que je ne met pas en péril le fragile équilibre psy de Vipère Ignoblement Histrionique… ? Parce que Ékiso mère est pas bête quand même, s’il y avait vraiment un risque imminent, elle agirait… Mais non Wisel tu sais bien qu’elle agirait pas ! Mais si je fais quelque chose, est-ce que toute la famille de Ékiso ne va pas me détester ? Genre de quoi elle se mêle, la belle-fille ? Mais en même temps, qu’est-ce que j’en ai à foutre de ce qu’ils pensent ? S’ils me rejettent parce que j’ai dénoncé des faits de maltraitances sur des enfants, est-ce que je le vivrais mal, vraiment ? (non) Est-ce que ce serait pas pire de ne rien faire et que j’apprenne plus tard qu’il s’est passé un drame ? (si) Parce que tous les matins, les parents déposent leurs enfants chez cette dame en se disant qu’ils sont bien traités, qu’ils peuvent avoir confiance, alors qu’en fait… Et ces parents, s’ils viennent me voir en me demandant pourquoi je n’ai rien fait, qu’est-ce que je leur répondrais ? Que j’avais peur que ma belle-famille me rejette ? Que j’avais peur qu’une enquête ait lieu pour rien ?
J’en n’ai pas dormi pendant une semaine.
Et puis j’ai eu une idée lumineuse : en parler avec une vraie professionnelle (contrairement à moi qui fais encore un peu semblant m’voyez ?. J’ai donc appelé une de mes anciennes tutrices de stage qui est devenue une amie, et qui en plus bosse auprès des enfants. Et voici ce qu’elle m’a dit : « ce que tu me dis, c’est grave. Tu as le devoir d’en parler, non pas en tant qu’ASS, mais en tant que citoyenne. Si tu ne veux pas que ton nom soit cité, tu appelles le 119. Sinon, information préoccupante. D’autre part, est-ce que tu ne penses pas que ce n’est pas un hasard qu’elle t’ait raconté cette histoire à toi, sachant ton métier ? »
Hum.
Première réaction : oh-mon-dieu j’y avais pas pensé !
Deuxième réaction : oh-mon-dieu qu’est-ce qu’elle est forte et belle et intelligente mon ancienne tutrice j’ai trop de chance de la connaître !
Troisième réaction : Ékisooooo !
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Pour la dernière fois, nous avons parlé de Vipère Ignoblement Histrionique. Je lui ai dit que je ne pouvais qu’agir, que j’étais conditionnée ainsi, que c’était ma vraie nature, que c’était comme ça. Et puis d’abord, tu es tombé amoureux de moi aussi pour cet aspect de ma personnalité, tu savais à quoi t’attendre ! Si je ne fais rien, je m’en voudrai toute ma vie, je ne dormirai plus et je vais dépérir, et tu vas me quitter, et je perdrai tout ce que j’aime : toi, et mon intégrité. Alors si tu m’aimes, tu dois me laisser faire !
Sa réponse : « Euh… Mais sinon, j’y ai pensé aussi, et vu que c’est ma mère et que je ne veux pas que ça te retombe dessus d’une façon ou d’une autre, je préférerais m’en occuper moi, d’accord ? »
Hum.
(Dans ma tête : oh-mon-dieu mon amoureux est tellement parfait et merveilleux et la vie est si belle et je suis la personne la plus chanceuse au monde !)
« Wisel, t’en ferais un petit peu trop quand même ? »
Nooon.…
[Ah, et si ça vous intéresse de savoir pour VIH : il nous a été répondu qu’elle faisait déjà l’objet d’une surveillance accrue de la part des services sociaux après un signalement. Peut être que ce rappel lui a permis de se remettre en question… Le fait est que la protection de l’enfance veille autant qu’elle le peut.]
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Conclusion
Quand on est assistante sociale, selon moi, on veut toujours un peu sauver le monde*, ce qui est plutôt bien. Et comme on est ASS, on a certains outils qui nous permettent de le faire. Et ça c’est bien aussi.
Inévitablement, on se retrouvera confronté à ce genre de situation, et je crois qu’il est important de se poser et de réfléchir à ce qu’on en fait, surtout quand on est débutante. Évidemment, il appartient à chacun de se positionner, d’agir ou non, de dire ou non. Et peut-être qu’avec le temps, la réponse de faire quelque chose ou non apparaît plus vite, ou est évidente. Parce qu’on se connaît davantage, et qu’on est en osmose avec nos valeurs, et que notre posture professionnelle fait partie de nous.
Ou pas. Ça dépend, ça dépasse (tmtc)
Personnellement, je m’imagine bien en fin de carrière avoir toujours besoin de tout décortiquer avant d’agir. Parce que c’est comme ça que je fonctionne, et je le vis bien.
[*ou sauver les gens que nous semblent dignes et méritants, tout dépend.]