Hier, j’ai vécu mon deuxième entretien d’embauche.
Tout s’est très bien passé du point de vue de Ékiso, qui était à côté de moi (entretien à distance, où l’avantage de pouvoir avoir un regard extérieur.) De mon point de vue, c’était autre chose (oooh mon dieuuu j’ai oublié de dire ça, j’aurais pas dû utiliser ce mot, j’aurais mieux fait d’insister sur cette compétence, aaah… )
À la fin de l’entretien, c’est simple, j’avais l’impression d’être la personne la plus nulle au monde.
Je vous désigne le coupable : Rodriguès le stress.
Il faut savoir que Rodriguès et moi, on ne se fréquente que très rarement au quotidien. Je pense d’ailleurs pouvoir dire sans me tromper que la plupart des êtres humains ne l’apprécient pas trop. Mais Rodriguès, lui, il s’en fiche d’être apprécié. Il se tape l’incruste, et puis c’est tout.
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Ma relation tumultueuse avec Rodriguès
Je ne me rappelle pas de ma première rencontre avec Rodriguès. Là comme ça, je parierais sur une histoire mettant en scène Mini-Wisel et une bêtise maladroitement dissimulée.
Jusqu’à l’adolescence, on a eu une relation plutôt classique, paisible. Il pointait le bout de son nez de temps à autre mais ne restait jamais bien longtemps.
Arrivée à 20 ans, je suis partie (plus ou moins volontairement) de chez mes parents pour entrer (plus ou moins violemment) dans la vie d’adulte. Dès lors, Rodriguès a sournoisement commencé à être de plus en plus présent.
Quand j’ai réalisé que la vie active et l’indépendance forcée qu’elle comporte était une invitation au squat permanent de Rodriguès, il était trop tard : il était là tous les jours. Ainsi, j’étais obligée de le supporter tant bien que mal, sans savoir comment lui dire de partir.
Et puis, très rapidement, Rodriguès a amené ses copines : Ashley l’anxiété, Kandace l’angoisse, Brittany l’insomnie. Seule face à tous ces squatteurs, je me sentais désemparée. Tout était prétexte à leur venue : la taxe d’imposition, un retard au travail, la voisine acariâtre…
Une routine de vie névrosée était en train de se construire malgré moi.
Je pensais que c’était ça, être adulte.

Et puis mon père est mort.
Foudroyé en trois mois par Robert le cancer. (Robert souffre de pas être très aimé par les gens, paraît-il, mais il ne fait pas beaucoup d’efforts aussi…) #ambiance
Cet événement m’a appris deux choses :
1 – être en froid avec son père quand il meurt, ça enrichit les psys et endette la Sécurité Sociale
2 – la vie est courte, alors il faut pas se faire chier
J’ai ainsi trouvé la force de mettre dehors Rodriguès, Ashley et Kandace.
Comment ? Et bien chaque fois que je suis confrontée à une des nombreuses difficultés qu’offre le quotidien, je parviens toujours à me détendre et trouver que ce n’est pas grave, car il n’y a pas mort d’homme. Littéralement.
Typiquement, avant les examens écrits de mon diplôme d’ASS, je me disais que j’allais forcément avoir quelque chose à dire. Pour les oraux, je m’imaginais juste une conversation avec un autre professionnel à propos d’un sujet intéressant.
(Et puis je ne me disais aussi que si je le ratais, c’était pas grave, puisque je n’avais pas le cancer.)
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Le retour de Rodriguès… et des autres
Sauf qu’hier, au moment de mon entretien d’embauche, les enjeux m’ont tout à coup paru démesurément importants.
Parce que c’est LE poste que je convoite, dans LA boîte que je convoite. Des missions intéressantes, une flexibilité immense, un salaire de malade, des tonnes de congés payés… Bref, le job parfait. Bien BIEN mieux que l’association Écrevisse.
Et aucun poste à pourvoir d’ordinaire dans cette institution… Sauf celui-là qui s’est ouvert sans crier gare, par miracle juste à côté de chez moi.
Si l’on ajoute que le processus de recrutement a duré trois semaines, avec quatre épreuves avant d’arriver à l’entretien d’hier… C’est l’équivalent d’un ticket d’or envoyé à Rodriguès et ses amis.
Furieux d’avoir été mis de côté durant des années, hier, ils se sont vengé.
Rodriguès en premier, durant l’entretien. Souffle court, débit de parole trop rapide… Et surtout une diarrhée verbale incontrôlable : je ne m’arrêtais PAS de parler. Impossible. Une des recruteuse a même fini par lâcher : « c’est bon c’est bon j’ai compris » alors que je répondais à une de ses questions depuis de longues minutes… Heureusement, c’était dit avec le sourire. Mais cela ne m’a pas permis de rectifier le tir… Après la visio, j’étais dans le même état que si j’avais couru un marathon avec une ceinture lestée autour de la taille.
Ensuite, ce fût au tour d’Ashley l’anxiété et Kandace l’angoisse. Elles ont débarqué après l’entretien et ne m’ont pas quitté de la journée. Je n’ai eu de cesse de me rejouer la scène en boucle en m’accablant de tous les torts.
Tout ça sous les regards dépités de mon amoureux et de mon chien, qui ne savaient plus quoi faire pour me changer les idées.
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Mais la nuit est passée, emportant avec elle les trois comparses…
Grâce aux propriétés magiques d’une tisane camomille et lavande ? Non.
Exorcisés par le biais d’un bon gros cauchemars ? Oui.
Parce que Brittany l’insomnie, elle, n’est jamais partie. Elle me tient compagnie depuis toujours.
Et grâce à elle, je suis abonnée aux cauchemars.
Mais pas les gentils petits cauchemars où on se retrouve à poil devant sa classe. Non.
Plutôt ceux où je cours sur place pour fuir un tueur en série, ceux où j’essaie de déglinguer un violeur invincible avec un poignard sans lui causer le moindre mal, ceux où toute ma famille meurt dans d’atroces souffrances sous mes yeux, ceux où Ékiso me largue comme une merde et où je termine prostituée et héroïnomane, ceux où je démembre mon chien « par accident » (un classique me direz-vous).
(Voilà pourquoi cette catégorie se nomme « Insomnies ». Voilà pourquoi ma psy a pu s’acheter un yacht depuis qu’elle me connaît.)
Dans les bras de Morphée, j’ai donc passé une nuit fabuleuse, en me réveillant vers 4h du mat’ dans un sursaut et les larmes aux yeux. En quelques heures, j’avais perdu ma sœur et mon amoureux dans une impitoyable apocalypse.
Puis j’ai repris mes esprits, et j’ai constaté que tout allait bien. Avant de repenser à mon entretien tandis que Rodriguès me chatouillait l’estomac.
Et quelques secondes plus tard, j’ai réalisé que j’avais de la chance d’avoir une belle vie, entourée de gens bien (ce qui n’a pas toujours été le cas), et d’amour fraternel, romantique, et canin.
Quant à ce job de rêve, je l’aurai ou pas. Et si je l’ai pas, je trouverai un autre job de rêve.
Dans l’intervalle, si on ne me diagnostique aucun cancer, si personne autour de moi ne meurt trucidé par le fils de Ted Bundy, qu’aucun violeur immortel ne vient m’agresser, et que Walo garde ses quatre pattes bien attachées, je m’estimerai heureuse.