Lorsque j’ai fait ma formation d’assistante de service social, les étudiants avaient une ISIC à valider pour le diplôme. Je précise pour le commun des mortels : il s’agit d’une intervention sociale d’intérêt collectif, c’est-à-dire un accompagnement social de groupe, en opposition à un accompagnement individuel classique appelé ISAP, pour intervention sociale d’aide à la personne.
Pour réaliser cette ISIC, il fallait impérativement utiliser une méthodologie de projet. Au cours de cet article, vous trouverez des extraits de mes notes de cours. Je précise qu’il s’agit du vrai cours que ma promotion et moi-même avons eu en préambule de l’ISIC, histoire de vous immerger au plus près de notre expérience.
Vous apprécierez dès l’introduction le parallèle entre rigidité et souplesse, qui nous met de suite dans le bain.
Ainsi que le petit encadré (qui met en valeur les trucs que j’ai supposé être importants car répétés 25 fois) qui parle de déontologie.
[Tout comme l’empathie, l’éthique et bien d’autres…La déontologie fait partie des notions dont on parle tout au long de la formation mais que personne ne peut vraiment définir.]
Si je vous pose ce contexte, c’est pour vous raconter une histoire que j’ai vécue en formation : l’École dans laquelle j’ai fait ma formation est à l’initiative d’une action collective qui entend lutter pour l’inclusion des SDF. Les formateurs en sont tellement fiers qu’ils en parlent à toute les occasions, et notamment lors des cours sur l’ISIC.
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ISIC « Les Faisans » : Faut Agir pour Inclure les Sans Abris dans Notre Société
Les Faisans (le nom a été modifié, évidemment), c’est l’association qui est née de l’ISIC de mon École. Cette asso est présidée par des personnels de l’École, et composée de personnes SDF ou anciennement SDF.
Parce que faire parler l’expérience, ça fait parti des fondamentaux de l’ISIC.
Notions essentielles : ISIC et ISAP doivent être menées ensemble, l’objectif doit être défini et clair, et le public doit être investi pour que ses ressources se révèlent.
Experte en ISIC puisque regroupant des formateurs compétents (aucun commentaire), l’École a impeccablement suivi la démarche de projet nécessaire, dont je vous résume les étapes de façon lapidaire.
Étape 1 : trouver un problème, une demande, ou un besoin
(Original, l’utilisation de la pyramide de Maslow, n’est-ce pas ?)
Problème trouvé par mon École : olala, y’a des gens qu’aiment pas les SDF, ils leur jettent des cailloux (et ne leur donnent pas d’argent parce qu’ils s’achètent de l’alcool avec).
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Étape 2 : faire un diagnostic et le partager
L’étape la plus longue et souvent la plus complexe.
Diagnostic de mon École : olala, les gens sont ignorants, ils ne comprennent pas ce que vivent les SDF et comment ils en sont arrivés là (et s’en foutent) c’est donc pour cela qu’ils les rejette.
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Étape 3 : élaborer une ISIC pour résoudre le problème
(Ça a l’air simple comme ça, non ?)
Solution de mon École :
– Finalité : réduire l‘exclusion des SDF
– But : favoriser la tolérance, l’acceptation, le respect, le civisme, la fraternité, l’empathie (entre SDF et non SDF j’entends)…
– Objectifs intermédiaires : permettre le dialogue entre SDF et non SDF
– Objectifs opérationnels : créer des rencontres entre personnes ressources (anciens ou actuels SDF) et newbie (ceux qui ne savent pas, ou découvrent,que tous les êtres humains sont égaux en droits)
En résumé, la volonté des Faisans, c’est montrer que les gens ayant connu une période de sans-abrisme sont des êtres humains comme les autres. Et qu’il faut les traiter comme des humains et pas des sous-merde.
Plutôt pas mal quand même, il faut l’admettre. (Plutôt évident aussi, mais malheureusement pas pour tout le monde)
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ISIC : dessein animé
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a deux choses ultra importantes dans l’ISIC.
La première, c’est le diagnostic. Parce que c’est ce qui va donner la direction de l’ISIC, ce qui va permettre de créer une intervention adaptée au public, et donc efficace.
Ci-dessous un exemple de mauvais diagnostic.
« C’étaient des gens d’une ONG américaine qui, à force de passer sur le goudron de N’Djaména et des villages proches, voyaient des femmes sécher leurs gombos posés sur la route. Sans même causer aux femmes, ils sont allés faire des dalles de séchage derrière le village. Ils sont partis eux-mêmes construire les dalles. S’ils avaient seulement demandé aux femmes pourquoi elles faisaient sécher les légumes sur la route, elles auraient pu expliquer que cela leur permettait de surveiller le produit et de vendre en même temps des petites choses à ceux qui passaient. Jusqu’à aujourd’hui, les femmes n’ont jamais utilisé ces dalles. »
Chastang, Sandrine. « Toutes les manières de rater un don humanitaire », Revue du MAUSS, vol. 31, no. 1, 2008, pp. 318-347
La deuxième, c’est l’animation du groupe. Une ISIC n’est pas une réunion d’information : les gens doivent agir, car c’est leurs ressources que l’on cherche à faire ressortir. Une ISIC n’est pas une soirée entre amis : les gens doivent être accompagnés, car c’est une intervention sociale collective que l’on cherche à mener.
Et pour se faire, il faut un ou plusieurs animateurs qui soient travailleurs sociaux. Et qui vont utiliser leurs outils magiques de travailleurs sociaux pour guider le groupe, distribuer la parole, faire en sorte que tout le monde participe et soit gagnant.
La bonne ISIC, elle est animée et mène à l’émergence de compétences chez tous les membres.
La mauvaise ISIC, elle est pas ou mal animée et mène à rien (hormis peut-être à la frustration, au temps perdu et au chaos, excepté si on a ramené des choses à grignoter auquel cas, ce peut être un apéro dînatoire, mais on s’éloigne tout de même de l’objectif, même si j’aime les apéro dînatoires hein, c’est sympa).
Et si vous ne me croyez pas, peut-être croirez-vous Didier Dubasque.
« Les mécanismes de culpabilisation à l’œuvre rendent difficile un travail sur le fond. Les personnes, dans leur grande majorité, ont intériorisé la source des difficultés auxquelles elles doivent faire face. Elles sont convaincues d’être soit responsables, soit incompétentes et incapables de parvenir aux modèles dominants de réussite. (…) l’agir collectif en travail social est essentiel pour permettre une véritable conscientisation de la personne. C’est une condition nécessaire dans la perspective de sa prise d’autonomie. Cette action doit s’articuler avec le travail individuel (ISAP), qui reste là essentiel.
Dubasque, Didier. « L’intervention sociale d’intérêt collectif : un mode d’intervention en travail social pour retrouver le sens du vivre ensemble ? », Informations sociales, vol. 152, no. 2, 2009, pp. 106-114.
Les travailleurs sociaux pratiquant l’ISIC s’inscrivent de la sorte plus facilement dans un modèle professionnel qui correspond aux préconisations formulées par le CSTS (Conseil Supérieur du Travail Social, ndlr). Celui-ci propose de refonder l’accompagnement social sur des pratiques d’alliance. Ces dernières sont toutes trouvées dès lors que le travailleur social s’inscrit dans une dynamique collective, notamment dans le cadre du développement local. Ainsi, par exemple, une équipe de travailleurs sociaux sera soucieuse de favoriser l’expression de la population la plus fragile et la moins en capacité de défendre ses intérêts dans un projet de rénovation urbaine. Pour cela, elle aura à s’engager avec les personnes dans une dynamique d’échange et de partage, de construction et de négociation. »
Et si vous ne nous croyez pas Didier Dubasque et moi, je vous invite à lire le prochain article.