Attention, révélation : je n’ai pas toujours été assistante sociale.
Avant, j’avais un métier beaucoup moins drôle, mais qui faisait appel à des compétences naturelles pour moi (l’organisation et la gestion). Cela m’a permis d’acquérir l’assurance nécessaire pour me lancer, quelques années plus tard, dans une réorientation professionnelle. Après de longues recherches et de nombreuses discussions avec des professionnels compétents (je remercie ma psy d’avoir toujours cru en moi, et les conseillères du CIO de chez oim pour leur soutien sans faille), j’ai arrêté mon choix sur le métier d’assistante de service social.
Quand j’ai commencé à en parler autour de moi, j’ai été surprise par les retours.
Parmi les florilèges de réactions que j’ai reçues après l’annonce de ma réorientation, en voici quelques-unes de mes « amis » :
– « T’as envie de donner de l’argent aux noirs et aux arabes ? »
– « Fragile comme t’y’es, tu vas pas tenir deux secondes à te farcir tout le malheur du monde ! »
– « Tu parles plusieurs langues ? » Euh… oui… « Ben tant mieux car tu vas pas voir beaucoup de français ! » (rire gras)
– « Et ça dure combien de temps » ? Y’a trois ans d’études… « Ah bon ? Je me demande vraiment qu’est-ce qu’il y a besoin de savoir pour distribuer des allocs ! »
(Si vous vous dîtes que je ne savais pas choisir mes amis, vous n’avez pas tort.)
Du côté de ma mère, ce ne fut pas franchement mieux :
– « Toi tu veux t’occuper des autres ? Ben commence d’abord par t’occuper de moi plutôt ! »
Vous l’aurez deviné, ma mère et moi avons une relation compliqué. (Si vous ne le saviez pas déjà : on ne devient pas assistante sociale par hasard.) D’ailleurs, si vous vous le demandez, elle se porte à merveille.
Et finalement, ma sœur :
– « Heureusement qu’il y a des gens comme toi pour faire ça, parce que moi je les laisserai tous crever. »
Là j’avoue, j’ai rigolé.
–
Parenthèse vers le passé…
Les cheveux noirs, les ongles noirs, le rouge à lèvres noir, les vêtements noirs.
-> Une seule volonté : que l’on me foute la paix.
-> Un seul projet : m’acheter des New Rock.
-> Un seul rêve : voir Nightwish en concert. Mais le vrai groupe, avec Tarja, pas avec une autre chanteuse, parce que c’est plus pareil maintenant.
Me revoici au lycée. Nous sommes au moment où l’on doit choisir son métier, ce qu’on va faire toute sa vie a priori.
Moi, dès le collège j’avais une une vague idée : j’envisageais enseignante, interprète, auxiliaire vétérinaire, bibliothécaire, guide touristique, et fermière. (vague, j’ai dit)
Et puis (je ne sais plus du tout comment !) durant le lycée, j’ai découvert la profession d’assistante de service social. Alors j’ai décidé que ce serait mon métier.
Quand je l’ai annoncé, les remarques m’ont fait peur : « c’est trop dur pour toi, ça rapporte pas d’argent (ça, c’est toujours vrai), c’est un métier de merde… »
(Pour remettre les choses dans le contexte : moi, à l’époque, je voyais les assistantes sociales comme des super-héros capables de résoudre les problèmes de tout le monde. Autant dire que je suis tombée des nues…)
J’avais fini par les croire. Toutes les réactions avaient été unanimement négatives. Moi qui n’avais jamais eu affaire à une assistante sociale… Je me suis dit qu’ils devaient avoir raison.
Alors comme toutes les âmes perdues au lycée, je me suis inscrite à l’université.
Si j’avais été plus maline et un peu plus sûre de moi, si j’avais réfléchis deux secondes, j’aurais peut-être pu me rendre compte que tous ces gens n’avaient jamais rencontré, eux non plus, d’assistante sociale.
Et donc qu’ils parlaient sans savoir. (Tu la sens la rogne, tu la sens ?)
« J’arrive déjà pas à m’occuper de moi, comment je pourrais m’occuper de quelqu’un d’autre ? »
Élise, 16 ans (IME Pélican)
–
Retour en 2016
10 ans après le bac, donc, je me heurte encore à ces réactions absurdes et stupides. Sauf que cette fois-ci, j’ai de la bouteille !
– « T’as envie de donner de l’argent aux noirs et aux arabes ? »
Je vois pas le rapport.
– « Fragile comme t’y’es, tu vas pas tenir deux secondes à te farcir tout le malheur du monde ! »
Tu trouves que Sœur Emmanuelle a l’air méga badass ?
– « Tu parles plusieurs langues ? Car tu vas pas voir beaucoup de français ! »
Je vois pas le rapport. (rire gras aussi)
– « Je me demande vraiment qu’est-ce qu’il y a besoin de savoir pour distribuer des allocs ! »
Puisque c’est comme ça, tu n’en auras pas.
(Ah, et j’ai changé d’amis, aussi.)
– « Commence d’abord par t’occuper de moi plutôt ! »
Ok, on va le remplir, ton dossier de retraite. (Des fois, faut savoir perdre.)
Sauf que mes détracteurs, voyant que leurs arguments de haute qualité ne m’atteignaient pas/plus, ont alors posé la question : « assistante sociale ? Mais pourquoi faire ? »
« Pourquoi faire ? » « Pourquoi ? » tout court.
Ça, c’est LA question qu’on pose à tous ceux qui veulent travailler dans le social. Étrangement, quand ma sœur s’est orientée dans le marketing, on ne lui a pas demandé pourquoi (alors que moi, perso, je sais toujours pas en quoi ça consiste). Quand un enfant dit qu’il veut faire vétérinaire, on lui demande pas non plus pourquoi (oh il aime les animaux cœur cœur cœur…) Et si ton voisin te dit qu’il va reprendre les études pour faire comptable, ben là non plus, tu fais pas de remarques (tout au plus tu te dis qu’il doit aimer compter, voilà.)
Mais s’il s’agit d’assistante sociale – ou tout autre métier à connotation sociale – les gens veulent absolument savoir POURQUOI. Comme si ça leur semblait complètement fou de vouloir exercer ce métier. Et une réponse simple et courte (« j’en ai envie ») ne suffira pas. Croyez-moi, ils ne s’en contentent pas. « Non mais y’a autre chose » ou « mais à part ça ? ». Comme s’ils s’attendaient à ce que cette vocation cache forcément un trauma croustillant. À la longue, à force de nombreuses et fortes intéressantes (non) conversations, j’ai pu catégoriser les bonnes et les mauvaises raisons de vouloir faire assistante sociale.
Les bonnes raisons, celles qui sont tolérées par la société :
– je veux aider les gens
– j’ai eu une révélation (j’ai vu la vierge)
– j’aime les gens
– je veux me sentir utile
– j’ai vécu une expérience de difficile (SDF, placement, violences…), on m’a tendu la main, alors je veux en faire de même pour d’autres
Les mauvaises raisons, celles qui entraîneront d’autres questions ou un retard d’accès à l’emploi :
– ça m’avait l’air intéressant
– j’aime l’idée d’être pauvre du début à la fin de ma vie professionnelle
– je veux enlever des enfants à leurs supposés mauvais parents
– non mais parce qu’en fait moi à la base je voulais pas être assistante sociale, moi je voulais être projectionniste, mais je me suis trompée de porte
– pour l’honneur, l’argent, et la gloire